La nouvelle était tombée au matin : nous allions accueillir pour le repas, les De Windsor ainsi que mademoiselle ma fiancée. Je pris sur moi pour ne point émettre d'objections futiles et m'occuper de mon côté jusqu'à l'heure fatidique, où je ne pus éviter de descendre en compagnie de ma famille pour accueillir nos invités. La soirée promettait d'être longue. Très longue. Sentant le regard de Père sur moi, je m'efforçais de paraître d'un enthousiasme que j'étais vraiment loin de ressentir. Enfin, nos invités arrivèrent. Je vis bien qu'Alice éprouvait tout aussi peu d'entrain aux évènements à venir que moi-même... Et elle faisait tout aussi semblant de paraître s'en réjouir. Elle s'inclina gracieusement devant nous. Bon, eh bien, il était totalement trop tard pour s'esquiver. Je dus donc faire un effort sur moi-même et me montrer courtois.

- Votre robe vous va à ravir, Miss Tudor.

Tu parles comment elle devait être à l'aise avec cela. Il devait être es cas où elle devait la maudire cette robe.

Comme elle me tendait sa main, je lui fis un baisemain, comme le voulait les règles de la bienséance. La réponse d'Alice ressembla fortement à du sarcasme.

- Je ne fais que rendre hommage à votre beauté.

Au secours, que quelqu'un me vienne en aide... ou m'achève. Je n'allais pas supporter ce manège très longtemps.

- Avez-vous fait bon voyage ?

Pourquoi diable devions-nous déblatérer ce genre de fadaises ? J'attendis courtoisement sa réponse.

J'écoutais ses réponses d'une oreille quelque peu distraite. Je fis un sourire poli à ses compliments qui n'en étaient pas vraiment.

- Eh bien, je suis fort aise que vous soyez arrivée, si votre route a été si inconfortable.

A mon grand étonnement, elle nous sauva la mise en me demandant de marcher un peu avant de rejoindre tout ce beau monde au manoir.

- Cela ne m'ennuiera pas le moins du monde.

Nous nous éloignâmes donc dans le jardin, laissant les "adultes" parler entre eux.

- Les jardins sont magnifiques en cette saison.

Je faillis laisser tomber le masque mais me reprit de justesse. Je ne retenais pas non plus miss Tudor. Libre à elle de retirer son bras si elle le désirait.

Alice me lâcha pour sortir son éventail et me dit de cesser la mascarade, ce que je fis avec un réel plaisir.

- Ne vous en faites pas. Au moins c'était sincère.

Je lui fis un sourire en coin.

- Je vous aurais bien proposé de desserrer votre corset, mais j'ai l'impression que c'est quelque peu inconvenant.

Et voilà que j'avais envie de rire. En réalité, ça ne m'aurait pas gêné le moins du monde, puisqu'il n'y aurait eu absolument rien d'implicite dans mes propos.

- Vous êtes sure que ça va ?

Il n'y avait que les femmes pour s'octroyer d'elles-même de tels supplices. (faux, y a les slims... en apparté total)

Au vu de son air, je me dépêchai de lui venir en aide et de desserrer ce satané corset.

- Vous devriez pouvoir respirer plus aisément à présent.

Je me sentais quand même un peu gêné, même si je n'éprouvais aucune attirance pour les femmes.

- Il faudra prévenir la personne qui vous a fait ce noeud que ce n'était pas une bonne idée de tant serrer.

Franchement, c'était d'un stupide.

- Vous devriez peut-être vous asseoir le temps de reprendre quelques couleurs.

J'acceptais ses remerciements d'un sourire.

- Je doute fort qu'elle apprécie qu'on lui rapporte que sa bien aimée nièce fit un malaise à cause d'un corset trop serré.

C'est dans ces cas-là qu'on ressent un vif soulagement à être un homme. Il y avait de ces inventions, franchement... Stupide !

- Vous vous sentez mieux ? Au moins, vous pourrez affronter plus sereinement le repas qui s'annonce, fis-je avec humour.

- Croyez moi, si je connaissais un moyen magique de nous éviter cela, je le ferais avec la plus immense des joies.

Je secouais légèrement la tête.

- C'est bien la peine de parler de "Nouveau Monde" si l'on s'entête à pérenniser les traditions de l'ancien monde.

Quel était dans ce cas, l'intérêt de se trouver dans un nouveau monde ? C'était absurde. Mais j'étais d'avis que beaucoup de traditions l'étaient.

- La résignation n'est pas pour moi. Et tout espoir n'est vain que si l'on finit par baisser les bras.

Je haussais légèrement les épaules. Pourquoi devions-nous suivre les ordres de nos parents ? Ces mariages de raison étaient stupides. Je n'aurais su accepter cela.

- Au nom de quel droit ont-ils droit d'arranger nos mariages ?

C'était sorti spontanément.

- Personnellement, du moins à ma connaissance, je n'impose rien aux amérindiens. Au contraire, j'aimerais mieux apprendre leur culture. Je les trouves fascinants. Cette simplicité dans leur façon de vivre... Et nous, les "hommes blancs" nous arrivons et nous essayons de les rendre comme nous... Nous devrions peut-être nous inspirer d'eux pour vivre...

J'eus un sourire.

- Mais nous serions affligés d'hérésie.

D'une certaine façon, je l'étais déjà, hérétique.

- Ne sont vaincus que ceux qui se battent, mais aussi ce qui perdent espoir.

Je fis à mon tour quelque pas.

- Nous sommes dans un monde nouveau. Et nous sommes au printemps de nos vies. Mais chaque printemps est différent des autres nous pouvons changer les choses, j'en suis certain. Mais pas simplement vous et moi. Vos cousins, ma soeur. Ce n'est qu'ensemble que nous pourrons choisir nos destinées. Nous pouvons changer nos étoiles Alice.

Il suffisait de le vouloir et d'y croire, j'en étais persuadé.

- Ce monde pourrait être le nôtre.

- Il faut penser en groupe. Si les choses peuvent être changer, ce doit être par un groupe pas, par des individus disparates qui sont chacun de leur côté. Je ne sais pas encore comment m'y prendre pour le faire comprendre. Je n'y ai pas songé. Avant de réfléchir à cela, il vaut mieux savoir si l'on est capable d'agir ensemble.

Alice me fixa avant de me demander de quelle servante j'étais amoureux. Je faillis rire. Je réussis toutefois à me contenir.

- Je ne pense pas que vous la connaissiez...

Autant rester très discret là dessus.

- Et vous, pour qui votre coeur bat réellement ?

- Non, je n'y ai jamais été convié.

C'était sur que cette histoire de pureté... Je haussai les épaules avant de lui dire qu'elle ne connaissait pas la "servante" que j'aimais. Elle arqua un sourcil avant de dire qu'elle les connaissait tous et toutes. Je haussais de nouveau les épaules et je lui demandais qui elle aimait.

- Ne dit-on pas que l'amour est une folie ?

Je lui fis un léger sourire.

- Nous pouvons y arriver Alice.

Alice acequiesça à mes propos avant de danser d'un pied sur l'autre, l'air un peu perdue. Elle me demanda si je lui permettais d'essayer quelque chose sur moi. J'acceptais, avec un brin d'étonnement. Elle s'approcha de moi , et, se hissant sur la pointe de ses pieds, posa ses lèvres contre les miennes. Elle se recula ensuite. Je restais comme figé tandis qu'elle se mettait à rougir.

Non, décidément, je n'éprouvais rien au contact des femmes.

- A quoi cela rime-t-il ? demandai-je d'un ton plutôt sec.